L’équation intime et politique de Blaise Ndala
Critique littéraire
L’Équation avant la nuit de Blaise Ndala
(Rentréé littéraire 2025)
Avec L’Équation avant la nuit, Blaise Ndala poursuit une œuvre déjà marquée par la mémoire postcoloniale et la mise en scène des fractures du monde contemporain. Après Dans le ventre du Congo, l’écrivain congolais-canadien revient avec un roman ambitieux où se croisent l’intime, l’histoire et le spectre des idéologies meurtrières. Publié aux éditions Jean-Claude Lattès en 2025, ce livre confirme Ndala comme l’une des voix les plus singulières de la francophonie.
Le récit s’ouvre sur Daniel Zinga, écrivain d’origine congolaise, figure à la fois désabusée et encore hantée par la mémoire de Lumumba, dont son père fut ministre. Trois ans après son divorce, il se laisse entraîner dans une relation ambivalente avec Beatriz Reimann, professeure chilienne installée à Washington. Cette rencontre, d’abord amoureuse, devient rapidement l’occasion d’un basculement dans le vertige de l’histoire : un courrier anonyme révèle à Beatriz un secret de famille troublant. Son père, qu’elle croyait un industriel humaniste, apparaît sur une photo en compagnie d’Adolf Hitler et de Werner Heisenberg. Dès lors, la fiction bascule vers une enquête vertigineuse où mémoire familiale et mémoire collective se télescopent.
Ce qui frappe d’abord, c’est la maîtrise narrative de Ndala. Il déploie une polyphonie où la voix du narrateur, celle de sa fille Fioti – jeune étudiante engagée dans les luttes autochtones au Canada – et les silences de Beatriz tissent un réseau de tensions. Le roman interroge sans cesse la transmission, le poids des filiations et la façon dont l’histoire rattrape les destins individuels. L’intrigue joue sur la frontière entre le réel et la fiction, flirtant avec le thriller historique, sans jamais céder au spectaculaire facile.
Le style, dense et généreux, se nourrit de références multiples : de Frantz Fanon à Edward Saïd, de Mark Twain à Frankétienne, Ndala inscrit son texte dans une constellation intellectuelle qui dépasse largement la seule sphère francophone. Cette érudition ne verse toutefois pas dans la démonstration sèche : elle se mêle au récit, à la sensualité des dialogues, à la mélancolie des paysages urbains de Washington ou aux souvenirs lumineux des festivals de Saint-Malo. L’écriture épouse les secousses de l’histoire, passant de l’ironie au lyrisme, de la confidence intime à la réflexion politique.
Au cœur de ce roman se trouve une question lancinante : que signifie « s’engager » lorsque l’héritage colonial, les crimes du nazisme et les illusions révolutionnaires continuent d’empoisonner le présent ? Daniel Zinga, écrivain reconnu mais en proie au doute, est sans cesse renvoyé à l’interrogation de sa fille : « pour qui écris-tu ? » Le personnage de Beatriz, quant à lui, incarne la fragilité de ceux qui découvrent que leur propre filiation cache une part d’ombre, tandis que l’ombre des héritiers d’Hitler – un groupuscule néonazi obsédé par l’« Ordre du 30 avril » – vient troubler la vie quotidienne.
On pourrait reprocher à Ndala une certaine prolixité, tant le texte multiplie les pistes et les digressions. Mais cette abondance participe aussi de son souffle romanesque.
Le lecteur est constamment tenu entre la séduction d’un récit amoureux et la gravité d’une méditation sur l’histoire mondiale.
En définitive, L’Équation avant la nuit est un roman de filiation et de désillusion, un livre où se mêlent mémoire coloniale, trauma nazi et quête intime.
Blaise Ndala y confirme une voix singulière, capable d’embrasser les contradictions du XXIe siècle et de rappeler que, face à la nuit de l’histoire, la littérature demeure un acte de résistance.
Texte rédigé par Velimir Mladenovic
@mlvelja

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