Une nuit sans fin derrière les murs : Perpétuité de Guillaume Poix

 

        Dans Perpétuité, Guillaume Poix entraîne son lecteur au cœur d’une maison d’arrêt française, le temps d’une seule nuit, suffocante et pleine de menaces. Nous suivons quelques surveillants – Pierre, premier surveillant désabusé, Bianca, directrice carriériste, Émilie, jeune cadre en quête de reconnaissance, ou encore Dominique, médecin prisonnière de son rôle – qui tentent de contenir une série d’incidents prêts à dégénérer. Dans cet univers surpeuplé, où une poignée d’agents veille sur près d’un millier de détenus, chaque geste devient une épreuve. Automutilations, tensions, coups bas entre collègues : la routine déjà insoutenable bascule dans une dramaturgie qui frôle le thriller, sans jamais sombrer dans le spectaculaire facile. Comme l’a souligné un critique, Poix parvient à tendre son récit « presque comme un polar », sans recourir au pathos.



        L’une des forces du roman tient à son choix de perspective : non pas celle des détenus, mais celle des surveillants, rarement mis en avant en littérature. Ce sont eux, « ceux qui regardent », que l’auteur suit de près. Il nous fait ressentir leur fatigue, leurs petites stratégies de survie, leurs lâchetés parfois. On découvre un métier méconnu, souvent dénigré, où la solidarité fragile d’une équipe de nuit est le seul rempart contre l’épuisement ou le cynisme. La prison apparaît comme une machine à broyer : elle détruit ceux qui y sont enfermés autant que ceux qui y travaillent. Lorsque Poix évoque ces agents qui « craquent » et ces violences couvertes par l’omerta, il ne cherche pas à justifier, mais à montrer comment le système rend ces dérives inévitables.

        Le roman ne distribue pas les rôles de manière manichéenne. Chacun, qu’il soit gardien ou détenu, se retrouve happé par la logique carcérale et y collabore à sa manière. L’écriture, tendue, précise, par moments lyrique, rend palpable à la fois l’oppression des murs et la fragilité des consciences. Un humour noir, discret mais mordant, s’invite parfois dans le quotidien sordide.




        Perpétuité est à la fois chronique humaine et réquisitoire politique. Derrière l’intrigue, une question obsédante affleure : pourquoi croire encore à la prison ? Un passage clé le formule avec force : « Personne ne remet jamais en cause l’existence des prisons – nous les tenons pour normales, la ‘moins mauvaise des peines’ et l’habitude la plus persistante de la punition. » Tout le projet de Poix est là : fissurer nos certitudes en révélant une institution qui ne corrige rien, mais engendre désespoir et destruction.

        Roman dense, étouffant, Perpétuité force à regarder en face ce qui reste d’ordinaire relégué dans l’ombre : le quotidien carcéral, avec son lot de souffrances et de compromissions. Expérience dérangeante, mais salutaire, ce livre secoue et oblige à repenser ce que nous appelons « justice ».


Titre : Perpétuité
Auteur : Guillaume Poix

Éditeur : Collection VerticalesGallimard Date de parution : 21 août 2025

ISBN-13 : 978‑2‑07‑310545‑5
ISBN‑10 : 2073105459

Format : Broché (336 pages, 140 × 205 mm)


Article rédigé par Velimir Mladenovic
@mlvelja

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